Sur le strict plan de la logique, ce sophisme aurait tout à fait pu se terminer par « c'est être de gauche ! » sans que son sens n’en fut altéré. Avant de préciser notre rejet de ce clivage, faisons le point sur ce non-argument récurrent.
Pourquoi un tel poncif ?
Le gauchiste, au moins depuis le militantisme stalinien, sait qu’il vaut mieux salir son ennemi que de lui répondre sur le fond. Ainsi, fleurissent dans toutes les bouches des gens de gauche des accusations en extrême-droite pour éviter de questionner les choix de leur propre camp. Mais face à tant d’ennemis, ne leur vient-il pas en tête que quelque chose cloche ? « Quand l'extrême droite progresse chez les gens ordinaires, c'est d'abord sur elle-même que la gauche devrait s'interroger », écrivait Jean-Claude Michéa en s'inspirant de George Orwell. Le fait-elle ? Non. Et pour ne rien arranger, elle étend même le champ de son intolérance à la simple droite.
Car le militant de gauche, confondant l’ouverture d’esprit avec une fracture du crâne, se fait fort de défendre plus que tout une conception manichéenne de la vie, de l’histoire, de la politique. Tout se résume alors à la lutte du bien contre le mal, du gentil contre le méchant, de la justice contre l’injustice – mais que sont-ils sinon des croyants sans dieu ?
Le partisan, aussi rebelle qu’il paraisse, est avant tout un bon élève ; de ceux qui récitent avec application leur leçon et les phrases vides de sens que la société industrielle lui a inculquées. Ainsi, s’il est de gauche, il verra la liberté comme « ce qui s’arrête là où commence celle des autres » ; le respect de la nature dans les « énergies propres » ; la paix comme un hashtag dans ses réseaux sociaux ; la révolution comme un argument marketing. Au contraire, s’il est de droite, sa leçon le poussera à défendre la seule liberté d’entreprendre, à voir le respect de la nature comme une lubie gauchiste (malgré des habitudes de chasse en forêt), à traiter la paix comme le miracle des nations libérales, à n’aimer la révolution que si elle se solde par un retour de l’autorité. En somme, le partisan se signe par une incapacité à penser.
"Si un homme disait, en demandant sa carte de membre : “Je suis d’accord avec le parti sur tel, tel, tel point ; je n’ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n’en aurai pas fait l’étude”, on le prierait sans doute de repasser plus tard.
Mais en fait, sauf exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte docilement l’attitude d’esprit qu’il exprimera plus tard par les mots : “Comme monarchiste, comme socialiste, je pense que... ” C’est tellement confortable ! Car c’est ne pas penser. Il n’y a rien de plus confortable que de ne pas penser. […]
Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.
C’est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.
Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques."[1]
L’esprit de parti ayant tué l’esprit critique, pas étonnant que ni la droite ni la gauche ne soient capables d’avancer intellectuellement, ni de se rendre compte que leurs ambitions sont les mêmes : exercer leur puissance sur la nature, vider la liberté de sa substance en asservissant l’individu, servir le système technologique et le promouvoir systématiquement. Rappelons au passage que l’amour inconsidéré pour la technologie fut tout à la fois caractéristique du communisme et du nazisme. En somme, que la foi technologique soit vendue au nom du bonheur universel ou du profit économique, la finalité reste la même : la destruction de la nature, de la liberté et de la dignité humaine.
- Par exemple, une GPA précédée d’une sélection de gamètes issue de donneurs rémunérés et d’une insémination en laboratoire, même si les uns y voient l’occasion d’une maternité inespérée et d’autres une pratique très lucrative, reste à nos yeux un acte technique, froid et marchand.
- De même, un Mélenchon holographique dont les yeux brillent à la simple évocation de la conquête spatiale n’est pas différent d’un Elon Musk dont les actes nous font craindre que la Lune finisse en hangar Amazon plutôt que de rester ce disque pâle suspendu là-haut et depuis toujours contemplé.
- Enfin, espérer parvenir un jour à corriger au stade prénatal toutes les maladies par manipulation génétique de l’embryon, que ce soit pour offrir joie et prospérité aux êtres humains ou faire les affaires d’entreprises spécialisées en la matière, n’est-ce pas la plus belle porte d’entrée que l’on puisse offrir à l’eugénisme et partant, à la création d’un homme nouveau, si caractéristique de tous les fascismes ?

le vrai clivage n’est pas là
En se faisant gardien du clivage gauche-droite (obsolète[2] à l’heure où tous les partis ont concouru activement à la catastrophe), le gauchiste nous oppose un conservatisme inconscient. Sa préférence va donc à l’accroissement de la surveillance technologique, à l’aliénation salariée pour un ersatz de pain, à une nature perpétuellement violée et au marchandage de la dignité de tous les êtres vivants. Cautionner le vieux clivage c’est cautionner la vieille société. Mais si le gauchiste doit son état au besoin de sauver sa psyché, comment lui en vouloir ?[3] Nous ne lui en voulons pas, d’autres choses importent plus à nos yeux que la vilénie des règlements de compte – même si c’est d’avoir voulu montrer patte blanche à cette gauche que l’on aimait tant qui fit sonner l’hallali au-dessus de nos têtes.
Notre rejet complet des classifications de la société techno-industrielle était-il encore un peu flou ? Soyons donc plus clairs à présent : à nos yeux, le clivage fondamental de notre temps oppose les technolâtres aux anti-tech. Son atout stratégique est de lier la négation de l'esclavage technologique et de la destruction du vivant à l'affirmation de la dignité et de la liberté des êtres humains.
Notre clivage est là parce qu’une révolution est nécessaire.
R. F.