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Technocène

Mines industrielles : quand le système creuse sa propre tombe (4/4)

Par
ATR
17
July
2025
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Décroissance

Dernier article de cette série consacrée aux mines industrielles, vous pouvez retrouver ici les autres parties :

Partie 1 : Les mines, un désastre environnemental

Partie 2 : Les mines, un désastre social

Partie 3 : Retour des mines en Europe : l'écologie au fond du trou

L’impossibilité d’une décroissance minérale

Si les analyses réalisées par Célia Izoard et l’association SystExt sont précieuses pour la lutte écologique, un point de désaccord avec ATR existe sur la stratégie à adopter. Nous nous concentrons ici prioritairement sur les propositions stratégiques de Célia Izoard.

Son idée est de décroître la consommation globale de métaux dans l’économie, pour réduire le recours à l’extractivisme. Pour cela, il faudrait selon elle des mesures politiques fortes, obtenues grâce à l’établissement d’un rapport de force venant des mouvements sociaux et de la consultation des populations concernés par l’établissement des mines[1].

S'inspirant de l'éco-léniniste Andreas Malm, Izoard propose de distinguer « l’extraction de subsistance » de « l’extraction de luxe » pour lutter contre la « surconsommation » minérale. Par exemple, ChatGPT et les voitures électriques de deux tonnes représenteraient une surconsommation minérale, et ne répondraient pas à des besoins essentiels. La définition de ce qui est essentiel ou non pourrait être déterminée par des mouvements pour la justice sociale ou des conventions citoyennes locales. Ensuite, les objets correspondant à de l’extractivisme de luxe seraient sans doute supprimés de l’économie par de fortes mesures politiques. Il s’agirait par exemple d’interdire les SUV électriques, trop consommateurs en métaux par rapport à leur utilité. Il faudrait aussi « légiférer » sur l'âge d'accès au téléphone (comme si l’État ne faisait pas partie du problème).

Car admettons, pour l'exemple, qu’un tel programme puisse être mis en place (comment ? Par quels intérêts ? Avec quelle démocratie directe ? Avec quel niveau d'éducation populaire ? Avec quelles applications matérielles ? Sous quelle temporalité ?).

Imaginez. Vous êtes une citoyenne conviée à une convention locale chargée de réfléchir au sujet : « Quels sont les besoins essentiels pour lesquels l’extractivisme doit être conservé ? ». Vous êtes renseignée, car vous avez lu le livre d’Izoard qui rappelle pourquoi le smartphone n’est viable ni socialement ni écologiquement. Un passage en particulier vous a marqué :

« Force est de constater que Fairphone[2] explore depuis dix ans toutes les voies qui permettraient de rendre le smartphone acceptable sur le plan social et environnemental. Le fait qu’elle n’y parvienne pas, ou très à la marge, oblige à poser un constat accablant : l’objet n’est pas viable. (…) même avec la meilleure volonté du monde, il n’est pas possible de produire un objet contenant plus de cinquante métaux différents dans des conditions décentes[3]. »

En bonne élève, vous proposez donc d’interdire la commercialisation des smartphones en France. Mais les autres participants répliquent que le smartphone est essentiel pour eux dans des situations modernes (par exemple pour sécuriser les virements bancaires, se repérer dans l’espace, rester en contact avec ses enfants, faire face à une situation d'urgence, etc.) et que cette décision serait impopulaire[4]. Si par miracle la proposition est tout de même adoptée, il est fort probable que le gouvernement refusera de la soumettre au vote de l’Assemblée nationale (comme ce fut le cas pour la majorité des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat[5]), car le smartphone est essentiel au fonctionnement de l’économie. L'interdire constituerait un désavantage compétitif face aux autres pays (entrainant crise et chômage). Et qui renoncerait volontairement à la croissance économique ? Par ailleurs, cette mesure serait sûrement incompatible avec les règles européennes, donc inapplicable. Enfin, imaginer parvenir à un consensus de l’ensemble des pays sur l’interdiction de production et de commercialisation des smartphones relève du pur fantasme.

Voilà. Vous venez d'expérimenter les problèmes que pose la planification. Il vous reste désormais à recommencer, malgré l'infime probabilité de gagner, pour tous les minerais et chaque produit en étant constitué. Vous allez réessayer pour la télévision. Vous allez réessayer pour le micro-ondes. Vous allez réessayez pour les radios, voitures électriques, machines à laver, numérique, pompes à chaleur, photocopieuses, ampoules électriques, satellites, scanners IRM, l'aérospatial, les radiateurs, les réfrigérateurs, les ordinateurs, etc.

Il semble donc que la « planification par le bas » aboutisse à prolonger l'écocide.
Autrement dit, que tous ces objets semblent malheureusement faire partie de « l’extractivisme de subsistance » défendu par Célia Izoard. Mais qu'en est-il si cet extractivisme de « subsistance » provoque des pénuries d’eau et des empoisonnements pour fabriquer... des lave-linges ? Si la « subsistance » des uns dépend de la non-subsistance des autres ?

ChatGPT est citée par Izoard comme une source « d’extractivisme de luxe », non essentielle. Malheureusement, il semble que la course à la puissance engagée autour de l’IA exclut toute forme de régulation. De plus, ces technologies stratégiques pour l’économie et l’armée (IA, 5G, etc.) font rarement l’objet de consultations démocratiques (certains États les déclarent même d’« intérêt national »). La Convention Citoyenne pour le Climat[6] avait ainsi proposé d’instaurer un moratoire sur la 5G, avant de connaître ses implications sur la santé et le climat. Mais en septembre 2020, devant les industriels du numérique, Emmanuel Macron déclarait que la France prendrait le tournant de la 5G et qu’il refusait « le retour à la lampe à huile » et « le modèle amish[7]. »

Mais cet échec n’est pas dû qu'au Président et ses phrases méprisantes. Renoncer à la 5G, c’est renoncer à être compétitif, c'est donc couler les entreprises françaises face à la concurrence internationale. Aucun dirigeant, de droite comme de gauche, ne prendrait telle décision.

Déterminer démocratiquement quels produits doivent être conservés ou non est un casse-tête voué à l’échec, du fait de l’insécabilité du système techno-industriel. En effet, tous les éléments du système techno-industriel sont interdépendants et ne peuvent exister sans les autres. Les différentes « couches » technologiques (électrification, numérique, etc.) ne se superposent pas mais s'additionnent et s’entremêlent. Il est ainsi impossible de se passer du numérique et de conserver, par exemple, les réseaux ferroviaires.

Les minerais de l’« énergie verte ». Source : https://miningwatch.ca/sites/default/files/miningwatch_review_page.pdf

Par ailleurs, les chaînes de production sont trop longues, complexes et mondialisées pour pouvoir déterminer les usages finaux des métaux. Même le PDG de Fairphone, exploiteur « éthique », le reconnaît[8]. Car comment connaître l’utilisation finale des minerais de cuivre extraits en Espagne dans la mine de Rio Tinto, puis fondus et raffinés en Chine, avant d’être vendus à des industries partout dans le monde[9] ?

De plus, les différents usages possibles d’un même métal ou l’extraction de métaux secondaires fausse un potentiel dialogue démocratique autour de l’ouverture de mines. Par exemple, le débat public organisé autour de la future mine de lithium d’Échassières dans l’Allier met en avant la production de batteries électriques permise par son ouverture. Mais le fait que le lithium soit aussi utilisé dans les alliages de l’aérospatial pour diminuer le poids des équipements (ou les têtes de missiles[10]) n’est pas mentionné. Ni le fait que cette mine est située sur un gisement de béryllium, un métal plus toxique que l’amiante mais stratégique pour les industries de l'armement et de l'aéronautique[11].

Ainsi, les seules mesures possibles sont incapables de régler le problème. Quand bien même un « bon » gouvernement parviendrait un jour à faire interdire autoritairement les voitures électriques ou à limiter l’usage des smartphones pour les enfants, ces mesures pèseraient bien peu face à l’augmentation globale de la demande en métaux.


CONCLUSION

Pour résumer, la décroissance minérale (de même que la décroissance tout court) se heurte à une impossibilité économique de contrôle total des chaînes de production mondialisées, à une impossibilité géopolitique liées à la guerre économique et militaire que se livrent les États et entreprises, et à une impossibilité technique liée à l’interdépendance entre tous les éléments du système techno-industriel.

S'il faut combattre l'extractivisme, ce n'est pas avec des « bilans métaux », des ingénieurs qui montrent « l'exemple », une « informatique low-tech », des enfants « mieux payés » dans les mines « responsables » de Fairphone, des appels à la conscience des industriels, de la collectivisation, des recours juridiques et des actions symboliques.

Pour abattre l'enfer minier qui menace la vie sur Terre, la seule option est le démantèlement total du système techno-industriel.

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Footnote [1] — Célia Izoard, La ruée minière au XXIème siècle : Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, (2024), p. 272.

Footnote [2] — Fairphone est une entreprise de produits électroniques basée à Amsterdam qui tente de vendre des produits plus « responsables » sur les plans sociaux et environnementaux.

Footnote [3] — C. Izoard, op. cit., p. 295.

Footnote [4] — La révolte des gilets jaunes était liée à l’augmentation d’une taxe sur le carburant, qu’en serait-il si on interdisait autoritairement les smartphones ?

Footnote [5] — https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_citoyenne_pour_le_climat#Mesures_rejet%C3%A9es_ou_d%C3%A9j%C3%A0_adopt%C3%A9es_avant_la_fin_des_travaux_de_la_Convention

Footnote [6] — Consultation citoyenne nationale mise en place par le gouvernement français entre 2019 et 2020 et ayant pour but de réfléchir à des mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale.

Footnote [7] — https://www.lemonde.fr/climat/article/2020/09/16/les-citoyens-de-la-convention-climat-amers-apres-la-sortie-d-emmanuel-macron-sur-la-5g-et-les-amish_6052347_1652612.html

Footnote [8] — https://youtu.be/bUMjKSq--PQ?t=232

Footnote [9] — C. Izoard, op. cit.

Footnote [10] — C. Izoard, op. cit., p. 188.

Footnote [11] — C. Izoard, op. cit., p. 178.

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