Seconde partie de la série d’articles traitant de l’enfer minier.
Les autres articles sont disponibles ici :
Partie 1 : Les mines, un désastre environnemental
Partie 3 : Retour des mines en Europe : l'écologie au fond du trou
Partie 4 : L’impossibilité d’une décroissance minérale
Les mines, un désastre social
« Les industries extractives sont également accusées de la plupart des pires abus, qui peuvent aller jusqu’à la complicité de crime contre l’humanité. Parmi ces abus, on citera notamment les actes commis par les forces de sécurité publiques et privées chargées de protéger les biens des entreprises, la corruption sur une grande échelle, la violation des droits des travailleurs ainsi qu’un large éventail d’abus touchant les communautés locales, en particulier les autochtones[1]. »
Les premières victimes de la mine sont les travailleurs. Considéré par l’Organisation Mondiale du Travail[2] comme le secteur d’emploi le plus dangereux, la mine tue. De nombreux travailleurs sont ainsi victimes d'accidents ou de maladies (souvent des cancers et maladies respiratoires) liées à l’exposition aux substances toxiques (arsenic, cyanure, plomb, mercure, etc.).

Au Maroc, Célia Izoard a enquêté sur les conditions de travail dans la mine de cobalt de Bou-Azzer, certifiée « responsable » par la Responsible Minerals Initiative dont fait partie la célèbre entreprise de smartphones « éthiques » Fairphone[3]. Les conditions de travail y sont harassantes et la mine est contaminée à l’arsenic, causant « des cancers de la peau, des poumons et de la vessie, des maladies neurologiques et cardiovasculaires ainsi que des troubles de la reproduction[4]. » Le recours à la sous-traitance retire tout droit à certains ouvriers, qui n’ont ni assurance maladie, ni congés ni retraite. Les accidents mortels au fond de la mine sont courants.
« Les ouvriers atteints du stade 2 de la silicose sont généralement licenciés avec une « prime » de deux ans de salaire à condition qu’ils ne déclarent pas leur maladie. Les cancers sont nombreux parmi les anciens mineurs et les riverains, tout comme « les nouvelles maladies inconnues » qu’ils n’ont pas les moyens de faire diagnostiquer. « Tous mes oncles et leurs fils qui travaillent à Bou-Azzer sont malades, s’indigne un commerçant d’Agdez. Un de mes oncles touche l’équivalent de cent euros de retraite après vingt ans à la mine[5]. »
Pire, toute révolte contre cet esclavage moderne est sévèrement réprimée par l’État marocain, comme en 2011 où une grève d’ampleur s’est déclenchée pour de meilleures conditions de travail. « La grève s’est terminée par des tabassages et des séances de tortures à la gendarmerie, des poursuites et des emprisonnements pour « entrave au travail ». Quatre-vingts mineurs syndiqués ont été licenciés, d’autres ont pu reprendre le travail à la seule condition de quitter le syndicat[6]. »
Malgré l'enfer du travail à Bou-Azzer, de nombreuses personnes s'y soumettent : le manque d’eau causé par la mine interdit l'agriculture à proximité. L’eau est pompée dans les nappes phréatiques pour le traitement du minerai, mettant en danger l’approvisionnement des populations locales.

« À mesure que Managem multiplie les forages pour le traitement des minerais, il y a de moins en moins d’eau pour le village, et le nouveau forage est à dix kilomètres des habitations. En été, l’approvisionnement s’arrête plusieurs heures par jour. « Nous sommes des morts-vivants, assène Mustapha. Bientôt, il n’y aura plus d’eau. C’est ça qu’ils appellent le développement durable[7] ? »
Malheureusement, la mine de Bou-Azzer n’est pas une exception. C'est la règle. Le secteur minier est considéré comme concentrant le plus de contaminants menaçant la santé humaine, et de nombreuses mines menacent l’approvisionnement en eau des populations locales. D’après une étude de 2021, 90% des zones minières seraient faiblement dotées en eau[8]. Ainsi, au Chili, la mine de cuivre d’El Soldado a vidé les aquifères et les familles d’agriculteurs de la commune voisine ont dû partir, à cause du manque d’eau pour l’irrigation et de la contamination de l’eau du robinet par les métaux toxiques. La compagnie minière livrera de l’eau par camion-citerne jusqu’en 2027, en échange de l’agrandissement de son parc à résidus[9]. Ces problèmes d’eau s’aggravent avec un double effet : la baisse de teneur des gisements nécessite une quantité croissante d’eau pour le traitement du minerai, et le changement climatique risque d’accroître les phénomènes de sécheresse.
Les femmes sont aussi particulièrement touchées par l’enfer de la mine. Elles sont souvent exclues des emplois miniers ou reléguées à des tâches subalternes. Les violences faites aux femmes et la prostitution augmentent dans les régions minières du fait de l’afflux de travailleurs d’autres régions.
« À ce titre, Cunha et Casimiro (2021) ont recueilli les témoignages de femmes relatant les changements associés à l’implantation de la mine industrielle de rubis de Montepuez, au Mozambique. Celles-ci décrivent l’afflux massif d’hommes depuis le Mozambique et d’autres pays, qui ont des comportements extrêmement agressifs à l'égard des femmes, notamment par des actes de harcèlement, de maltraitance et de viols réguliers[10]. »
Malgré son caractère dramatique, le drame humain des mines est relativement absent de l’imaginaire occidental. On pense généralement aux mines de charbon du XIXème siècle, barbarie qui appartiendrait aux siècles passés. Or, cette exploitation monstrueuse est toujours là, mais plus chez nous. En effet, la vague de délocalisations des années 1980 a relégué la majorité de l’exploitation minière dans les pays dits « du Sud », en marge du système industriel. Loin des yeux, loin du cœur. Cette délégation fut permise par les puissances coloniales et leurs politiques néolibérales des années 1980[11].
Une domination qui s’exerce aussi au travers des multinationales occidentales (ou russes et chinoises). Celles-ci disposent de services de sécurité privés pour réprimer les contestations locales, ou qui font directement appel à la police ou l’armée locales. Les méthodes de répressions sont extrêmement violentes : criminalisation des activistes, agressions sexuelles, détentions arbitraires, tortures, assassinats.
Les peuples autochtones sont particulièrement touchés et ces projets menacent souvent leur survie. Par exemple, dans l’État du Chhattisgarh à l’est de l’Inde, la mobilisation des communautés autochtones indiennes Adivasi contre des mines industrielles de fer a été violemment réprimée par la police et les paramilitaires, par des détentions arbitraires, de la torture et des agressions sexuelles sur les femmes[12].
C’est le prix des téléphones et des lave-linges européens[13]. Grace à toutes ces violences délocalisées, les habitants des pays industrialisés peuvent tranquillement profiter de leur confort technologisé, tout en se laissant bercer par la douce mélopée de la « dématérialisation du monde ».
Cette hégémonie se transforme aujourd’hui en dépendance, en particulier envers la Chine. Les pays occidentaux cherchent à relancer l’industrie minière en Europe aux États-Unis, au nom de la « transition énergétique ».
Mais ATR s'organise contre toutes les mines, où qu'elles soient et quoiqu'elles promettent.