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Technocène

Data Centers : la face cachée de l'intelligence artificielle

Par
AR
24
October
2025
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Les data centers sont la colonne vertébrale de l’Intelligence Artificielle. Les poumons de l’infrastructure numérique. 

En plus d’amplifier la catastrophe écologique, l’informatisation cause une révolution anthropologique. Retour sur les impacts bien matériels du « nuage » informationnel.

L’INCARNATION DE LA TECHNO-SURVEILLANCE

« La sécurité est l’un des éléments les plus essentiels de nos centres de données » affirme Google. Dans une vidéo [1], nous suivons Stephanie Wong, développeuse en IA et responsable de Google Cloud. Nous la voyons vérifier la sécurité physique d’un de leur data center. Gigantesque labyrinthe, celui-ci se divise en six niveaux. Découvrons ensemble ce qui s’y cache.

Dehors, l’infrastructure est d’abord entourée de clôtures anti-escalade. Équipées de la fibre, ces technologies signalent la proximité d’un individu à la smart clôture.

En voiture, Stephanie doit passer sous les barrières automatiques, puis les caméras de surveillance. L'ingénieure croise régulièrement des patrouilles de garde.

« À partir du moment ou vous êtes sur place, nous savons que vous êtes ici. Nous sommes en mesure de faire une analyse prédictive de l’endroit où vous allez » dévoile Joe, expert en sécurité des data centers.

C'est la même technologie utilisée contre les manifestants pour prédire les « déplacements de foules ». Pas besoin de bracelet électronique pour être en liberté surveillée. C'est la machine qui règne - et elle vous guette en permanence.

Pour rentrer à l’intérieur du bâtiment, Stephanie doit scanner un badge. À l’accueil, son corps devient l’objet d’un contrôle automatisé. Son œil est soumis à un lecteur biométrique. Désormais, réduite à un code, son identité ne fait plus aucun doute.

L'identification électronique démultiplie la puissance de la logique bureaucratique... on sait qui vous êtes, on sait quoi faire de vous. On le sait mieux que vous.
La liberté dans le coma, Matthieu Amiech

Ensuite, Stephanie découvre les « travailleurs invisibles ». Cachés dans la quatrième partie du data center, équipés d’un micro-casque, cloisonnés, n'interagissant qu'avec leurs écrans. Ils sont chargés de surveiller en permanence les passages dans le data center. De veiller à ce qu’il n’y ait pas d’intrusion. Pas d’individu suspect. Pas de sabotage.

Pour entretien ou réparation, seuls les techniciens et ingénieurs ont l’autorisation de s’introduire dans l’immense salle des serveurs. Entre d'innombrables rangées d’ordinateurs s’effectue l’obsolescence de l’homme.

Dans la salle des « concasseurs », les disques durs scannés sont effacés, puis réduits en morceaux. « Ce disque est définitivement détruit ! » s’enjoue Stephanie. Pourtant, à la sortie de la machine à broyer, une montagne de métaux fragmentés.

Ces déchets s'envolent au Ghana, au Togo ou encore au Nigéria. Les décharges électroniques, toxiques, donnent un autre aperçu de « ces disques détruits ».

Crédit image : Romano Maniglia / source : https://mrmondialisation.org/des-images-a-peine-croyables-la-decharge-dagbogbloshie/

LES DATA CENTERS GRUGENT NOS RESSOURCES

Salle de batteries, onduleurs, automates, groupes électrogènes ou refroidisseurs : les data centers sont des gouffres énergétiques.

C’est avec fierté qu’Emmanuel Macron annonce en mai 2025, pendant le sommet international Choose France, vouloir faire de notre pays « une terre d’accueil pour les infrastructures voraces en eau et en énergie »[2]. Ainsi, ce sont 53 centres de données [3] qui s’arracheront les terres françaises dès 2025, dont Google, qui s’apprête à installer son premier data center près de Châteauroux.[4] Les sols fertiles, qui stockaient l’eau et le carbone, seront excavés. Ses vers de terre remplacés par des câbles électriques. Des data à la place du blé.

En janvier 2025, on recense plus de 11 800 centres de données d'envergure en activité dans le monde. Ce nombre devrait continuer à croître rapidement, d'autant plus que Google, Microsoft et Amazon envisagent d’augmenter leur nombre de data centers de 7 %. Les trois géants du secteur en exploitent déjà 400 à eux seuls. [5]

Les experts tirent la sonnette d’alarme. Google révèle avoir prélevé 28 milliards de litres d’eau en 2023, pour refroidir ses gouffres numériques. Entre 2018 et 2022, ses prélèvements ont bondi de 82 %. [6]

Pendant que nos terres s’assèchent, les data centers ont consommé 560 milliards de litres d’eau dans le monde en 2023. Ce chiffre devrait doubler d’ici 2030 avec l’essor de l’intelligence artificielle. [7]

Les fleuves s’éteignent, les agriculteurs sont rationnés, les déserts s’étendent, deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable, mais les infrastructures industrielles, loin d’en manquer, en consomment des quantités toujours plus astronomiques.

À ce rythme, nous allons manquer de 40 % de notre eau en 2030 selon la Global Commission on the Economics of Water [8]. Le Haut-commissariat à la stratégie et au plan pronostique estime que si nous continuons sur cette voie, 90 % de la France risque régulièrement de manquer d’eau d’ici 2050. [9]

Avec le réchauffement climatique, la logique techno-industrielle devient criminelle : dans la région mexicaine du Queretaro, il ne pleut presque plus depuis 2 ans. Les nappes phréatiques sont vides, les cactus meurent de soif pendant que Microsoft, Google et Amazon, soutenues par le gouvernement, y construisent des centres de données. [10] Pour que les machines fonctionnent, la nature doit périr.

Des organisations et des collectifs autochtones en lutte contre l’accaparement de l’eau dans le Queretaro au Mexique. Source : https://www.cdhal.org/mexique-les-gouvernements-et-les-entreprises-sont-responsables-de-la-catastrophe-de-leau-affirment-le-cni/

« Quand le centre de données de Meta est arrivé, l’eau a disparu » [11] confie la famille Morisse, installée à 300 mètres d'un data center dans le comté de Newton, en Géorgie.

En 2016, ils pensaient avoir trouvé la maison de leurs rêves : un comté paisible à la campagne, entouré d'arbres et baigné de tranquillité.

La forêt d'Oak s'étant fait balayée par Meta en 2019, le centre de données est désormais le premier voisin de la famille Morisse. Dans le comté, plusieurs riverains connaissent également des difficultés d’approvisionnement en eau.

« Avec la pollution lumineuse, on n’a plus besoin de veilleuse dans la maison. Vous pouvez vous promener dans la maison la nuit et tout voir ».[12]

Jeff aimerait prendre sa retraite, mais depuis l’installation du data center, « chaque mois est un combat », la facture d’électricité ayant doublé.

Aux États-unis, plus de la moitié des data centers sont implantés sur des zones en stress hydrique. [13] Un véritable paradis pour les data centers : l’air sec favorise l’évaporation de l’eau, facilitant ainsi le refroidissement. Nous observons la même tendance en France : l’Île-de-France et Marseille s’imposent comme des hubs stratégiques pour l’implantation des centres de données.[14] Mais ces territoires sont également exposés à une réalité climatique préoccupante : des sécheresses récurrentes et prolongées. [15]

Mais pas de panique, les data centers écolos débarquent ! Avec un refroidissement en circuit fermé, les industriels affirment que les data centers consomment désormais beaucoup moins d’eau. Belle opération de greenwashing.

Selon une étude de l'AIE, environ 75 % de l’empreinte hydrique d’un centre de données est liée à la production d’énergie et à la fabrication des puces. [16] Les circuits fermés reposant sur des technologies qui consomment beaucoup plus d’électricité, la consommation d’eau n’a pas disparu. Elle a été exporté. Comme le sont les déchets électroniques.

De plus, si une grande partie de la ressource en eau s’évapore lors du refroidissement, une majorité retourne dans l’environnement et contribue à l’augmentation de la température des fleuves et des ruisseaux. [17] Privant les populations animales d’oxygène, cette hausse de la température n’est pas sans conséquence : on se rappellera l’été 2018 en Allemagne, où l’augmentation de la température de l’eau à entraîné la mort d’une dizaine de milliers de poissons dans le Rhin près de Hambourg. [18] Les data centers, c'est la face écocidaire de l'intelligence artificielle.

« L’IA, c’est la poursuite effrénée de la destruction de la nature. C’est l'accroissement exponentiel de la consommation d'électricité... C’est l'extractivisme forcené qui dévaste les entrailles de la terre. L’IA, c’est l'immense gaspillage de l'eau pour séparer et raffiner les métaux, pour refroidir les centres de données. Tout ça est déjà la. Elle est là l’éthique de l’IA, cynique et myope, comme depuis l’émergence de l’industrie. » 

Jacques Luzi, Ce que l’IA ne peut pas faire 

Quand bien même les data centers consommeraient moins d’eau, quand bien même ils produiraient moins d’émission de CO2, moins d’électricité, l’artificialisation restera toujours la première cause d'extinction de la diversité biologique. [19]  Le flicage décarbonné, savamment entretenu par technocrates et écotraîtres, n’est qu’une stratégie de diversion.

UNE CATASTROPHE SANITAIRE

C'est en France, dans la petite commune de Dugny en Seine-Saint-Denis, que l’implantation du plus grand data center du pays s’accompagne d’un raccordement électrique qui détruira deux zones humides. Il sera construit à 50 mètres des habitations, et d’une crèche. [20]

Anti-Tech Resistance en lutte contre le datacenter de Dugny en Seine-Saint-Denis. Source : https://www.instagram.com/p/DK_26CMJ7sF/?igsh=MWdzZ240cWx0M2dwbg==

Parcs engloutis, cultures anéanties, communautés et maisons détruites : en Virginie où transite 70 % de nos données [21], l’implantation des data centers s’accompagne de pylones, de centrales à gaz et au charbon. « C’est comme un cancer qui se répand avec ses métastases » dit Elena Schossberg, militante contre l’implantation du projet du Digital Gateway, sur le parc national de Manassas.

Maladies respiratoires, troubles cardiovasculaires, cancers… En Corée du Sud, une étude [22] a mis en lumière un constat terrifiant : les habitants vivant près des infrastructures industrielles comme les data centers sont exposés à une pollution de l’air qui ne se contente pas d’agresser les poumons. Elle s’attaque aussi au cerveau. Les chercheurs y ont observé une hausse inquiétante de maladies neurologiques, allant des inflammations du système nerveux à des troubles graves comme l’épilepsie ou la maladie de Parkinson.

L’augmentation de la consommation énergétique liée à l’intelligence artificielle entraîne une augmentation drastique de la pollution générée par les groupes électrogènes (oxydes d’azote, le dioxyde de soufre, les particules fines et le CO2).

Une étude de l’université UC Riverside et Caltech [23] estime qu’à l’horizon 2030, les data centers provoqueront 600 000 nouveaux cas d’asthme et 1 300 décès prématurés aux États-Unis.

Enfin, les milliers de serveurs, remplacés tout les 3 à 5 ans, entraînent de vastes décharges de déchets électroniques dans les pays du Sud. Selon l’Organisation internationale du travail, le traitement des déchets ont de graves répercussions sur la santé [24]  : retard du développement neurologique en raison de l'exposition au plomb, diminution des capacités pulmonaires et respiratoires provoquées par l'inhalation de fumées toxiques.

A ce stade, louer les bienfaits de l’IA dans la médecine revient à insulter les populations qui en subissent les nuisances. L’industrie tue.

NOURRIR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Stocker plus, pour quoi faire ?

En Corée du Sud, l'IA remplace déjà partiellement les professeurs dans 30% des établissements. [25] Quand l’enseignant n’est pas complètement remplacé, celui-ci se transforme en technicien, voué à expliquer aux enfants comment fonctionne la machine. Sur quel bouton cliquer ? Les interactions qu’entretiennent les enfants avec leur professeur sont réduits à des aspects techniques. Des algorithmes façonnent maintenant la pensée des jeunes générations. Bientôt des IA donneront le lait aux nourrissons. Plus rien n'échappe au numérique.

Remplacer les soignants par des agents artificiels ? C’est le projet de Nvdia avec Hippocratic AI [26] , qui ouvre la voie à une médecine totalement déshumanisée, où des algorithmes prendront en charge les patients par télémédecine. De quoi amplifier le phénomène de détresse sociale.

Une technologie qui nous isole des autres, qui participe à notre perte d’autonomie et aux transferts d’intelligence, ce n’est pas un outil. C’est une arme de destruction massive de la dignité humaine.

Selon une récente étude, ChatGPT ne provoque pas seulement des troubles addictifs, mais serait aussi responsable d’un déclin cognitif. C’est ce que montre une expérience menée par le MIT [27], dans laquelle est observée une baisse significative de l’activité cérébrale des personnes utilisant l’Intelligence Artificielle.

Ne répondant plus à aucun besoin, « le progrès » est devenu une quête en soi. Voilà ce qui se cache derrière les data centers, à Dugny et ailleurs.

Nos libertés en fumée, notre auto-détermination déléguée, nos relations effacées, la nature saccagée. L’industrie éradique des espèces par centaines et soumet nos corps à la froideur des machines.

Face au désastre, nous ne pouvons rester passifs. Nous n’avons d’autres choix que d’entrer en résistance.

CONCLUSION

Nous avons vu que l’Intelligence Artificielle n’est que l’aboutissement d’un système hautement technologique : des mines jusqu’aux centrales électriques, des usines jusqu’aux data centers, des lignes hautes tensions jusqu’aux câbles sous-marins.

Contraints d’adopter de nouvelles technologies pour s’assurer une place dans la course à la superpuissance, les entreprises et les gouvernements ne pourront cesser d’eux-mêmes le développement de l’Intelligence Artificielle.

Stopper l’implantation des data centers c'est stopper l'IA et son monde ; c'est démanteler le système techno-industriel. 

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Footnote [1] — https://youtu.be/kd33UVZhnAA?si=gDR-dxuKEZF23Qzb

Footnote [2] — https://www.lexpress.fr/economie/choose-france-amazon-prologis-les-principales-annonces-du-sommet-YY7C2D7O7BFIJCROP35KI4NCLM/

Footnote [3] — https://www.economie.gouv.fr/actualites/ia-des-investissements-records-annonces-lors-du-sommet-choose-france-2025

Footnote [4] — https://www.usine-digitale.fr/article/une-filiale-de-google-veut-construire-un-data-center-pres-de-chateauroux.N2234223

Footnote [5] — https://www.source-material.org/amazon-microsoft-google-trump-data-centres-water-use/

Footnote [6] — https://www.gstatic.com/gumdrop/sustainability/google-2023-environmental-report.pdf

Footnote [7] — https://iea.blob.core.windows.net/assets/34eac603-ecf1-464f-b813-2ecceb8f81c2/EnergyandAI.pdf

Footnote [8] — https://www.strategie-plan.gouv.fr/publications/leau-en-2050-graves-tensions-sur-les-ecosystemes-et-les-usages

Footnote [9] — https://turningthetide.watercommission.org/

Footnote [10] — https://www.context.news/ai/thirsty-data-centres-spring-up-in-water-poor-mexican-town

Footnote [11] — https://www.nytimes.com/es/2025/07/15/espanol/negocios/centro-datos-meta-escasez-agua.html

Footnote [12] — https://youtu.be/DGjj7wDYaiI?si=E-FMnkzsUu8Gf2ht

Footnote [13] — https://www.bloomberg.com/graphics/2025-ai-impacts-data-centers-water-data/

Footnote [14] — https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/14/derriere-l-ia-la-deferlante-des-data-centers_6239694_3234.html

Footnote [15] — https://reseauactionclimat.org/la-france-face-au-changement-climatique-toutes-les-regions-impactees/

Footnote [16] — https://lareleveetlapeste.fr/ia-les-data-centers-transforment-les-territoires-en-deserts/

Footnote [17] — https://www.lefigaro.fr/sciences/des-milliers-de-poissons-morts-dans-l-oder-font-craindre-un-desastre-environnemental-en-allemagne-et-en-pologne-20220813

Footnote [18] — https://youtu.be/q0q3OY20BHQ?si=6eMAwMsKeax5NDGD

Footnote [19] — https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36351024/

Footnote [20] — https://www.change.org/p/stop-data-centers-dugny

Footnote [21] — https://www.vedp.org/news/dawn-data

Footnote [22] —https://www.lexpress.fr/economie/choose-france-amazon-prologis-les-principales-annonces-du-sommet-YY7C2D7O7BFIJCROP35KI4NCLM/

Footnote [23] — https://www.themoonlight.io/en/review/the-unpaid-toll-quantifying-the-public-health-impact-of-ai

Footnote [24] — https://www.ilo.org/sites/default/files/wcmsp5/groups/public/%40ed_dialogue/%40lab_admin/documents/publication/wcms_894143.pdf

Footnote [25] — https://www.liberation.fr/international/dans-les-ecoles-sud-coreennes-le-prof-est-deja-une-ia-20250419_NA76VARQLBES3EDACNRNSWF4XQ/

Footnote [26] — https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/tech-ce-geant-informatique-veut-remplacer-personnel-sante-intelligence-artificielle-112417/

Footnote [27] — https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2178183/chatgpt-ia-intelligence-artificielle-cerveau-cognitif-mit

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