« Ce que Proudhon n'a pas compris, c'est que les rapports sociaux sont aussi bien produits par les hommes que la toile, le lin, etc. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à eau vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel. »
Karl Marx
« Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, sans une organisation d’État méthodique qui ordonne des dizaines de millions d'hommes à l'observation la plus rigoureuse d'une norme unique dans la production. Nous, les marxistes, l'avons toujours affirmé. (…) Le socialisme, c'est les soviets + l'électrification. »
Lénine
Nous vous proposons ici la libre traduction d'extraits du texte Fuck your red revolution : Against Ecocide, Toward Anarchy publié par Ziq en 2019.
<hr>
Laissez tomber vos slogans périmés
« Il n’y a pas de consommation éthique sous le capitalisme » est un slogan momifié que j’aimerais voir disparaître. Bien trop souvent, ce slogan est utilisé par les marxistes pour museler ceux d’entre nous qui s’efforcent de vivre en réduisant les dommages causés à nos environnements naturels.
(…) Culpabiliser ceux qui font l'effort de vivre de manière plus précautionneuse et décrier toute action individuelle comme « libérale » relève d'un état d'esprit profondément autoritaire, qui rappelle les purges maoïstes où l'on punissait les gens de s'habiller différemment, d'avoir des loisirs ou de faire autre chose que se sacrifier à 100% au travail industriel destructeur et à la gloire de « la révolution » (un État rouge).
Malheureusement, l'influence marxiste sur le discours anarchiste est dominante dans le monde, et les anarchistes d'esprit collectiviste exigent que chaque anarchiste se consacre à leur fantasme d’un soulèvement de masse visant à reprendre les usines aux capitalistes. Ils postulent que des usines « démocratisées » seront plus bénéfiques aux travailleurs, car ils recevraient une plus grande part du gâteau industriel. C'est une vérité. Mais les rouges prétendent ensuite que leur idéologie « sauvera l’environnement », parce qu’un comité de travailleurs ne serait pas aussi cupide et destructeur qu'un conseil d'administration. Cela est bien sûr totalement infondé, et ignore grossièrement l’histoire de l’industrie collectivisée et ses conséquences écologiques. La réalité flagrante est que toutes les sociétés industrielles mènent inévitablement à l’écocide, sans aucune exception.
De nombreuses révolutions marxistes ont causé des dommages écologiques si importants que des territoires entiers, comme la zone autour de Tchernobyl, sont devenus inhabitables pour les humains. Des bébés continuent aujourd’hui de naître avec des malformations congénitales, et les taux de cancer dans les régions ravagées par l’industrie socialiste restent extrêmement élevés.
Jetons un bref regard sur l’héritage de l'irresponsable destruction industrielle de l’ex-URSS, à travers trois exemples.
Le fleuve Oural, à Magnitogorsk, est toujours saturé de niveaux toxiques de bore et de chrome provenant des aciéries voisines, empoisonnant l’ensemble de l’écosystème et ses habitants.
La mer d’Aral, autrefois 4ème plus grande mer intérieure du monde, a été largement remplacée par le nouveau désert d’Aralkoum, après que les Soviétiques aient détourné deux rivières pour l’irrigation. La mer d'Aral ne représente plus aujourd’hui que 10 % de sa taille originelle.
Les rejets provenant des champs pétrolifères près de Bakou ont tué tous les points d’eau locaux, exterminant chaque forme de vie qui prospérait dans ces écosystèmes depuis des millénaires.
Ce ne sont là que trois exemples de dévastation écocidaire causée par la quête de croissance industrielle (qui, selon Marx, est nécessaire pour atteindre le stade communiste). Et bien sûr, ces projets n’ont jamais produit que davantage de capitalisme et de misère, car l’industrialisme et la poursuite du travail servile ne libéreront pas les humains.
Passer d’une hiérarchie verticale à une hiérarchie horizontale bénéficiera certes aux travailleurs industriels sur quelques points matériels, mais la destruction à grande échelle de notre planète ne ralentira pas d'un iota juste en transférant le pouvoir des patrons aux ouvriers : la production industrielle repose sur une croissance ininterrompue, et lorsque vous liez la réussite d’une société à la production industrielle, vous créez la recette pour le désastre. Les travailleurs ne voteront pas pour réduire leur industrie (ou son impact écologique) si leur survie dépend de la croissance de l'industrie.
Et ils ne se soucieront certainement pas des travailleurs non-industriels, ou de préserver des modes de vie étrangers aux leurs. Les peuples autochtones et les paysans seront perçus par la société rouge comme un groupe extérieur, indésirable. Toute personne incapable de répondre aux normes productivistes sera vue comme une gêne pour la machine industrielle. Un ennemi de la révolution rouge. Un ennemi à broyer.

Tout « contre-révolutionnaire » qui oserait se dresser contre la croissance industrielle et l’expansion de l’industrie sur les terres devient en effet un fardeau, qu’il faut éliminer pour protéger la révolution. Se conformer ou être écrasé. Rouge ou mort.
Ainsi, les personnes qui vous répètent « il n’y a pas de consommation éthique sous le capitalisme » n’ont en réalité aucune intention de réduire leur consommation destructrice – même sous le communisme. Même sous l'anarcho-communisme. Au mieux, elles espèrent augmenter leur consommation en acquérant un pouvoir d’achat plus élevé. Avec le communisme, elles pourront consommer autant qu’un cadre intermédiaire sous le capitalisme, puisque tous les travailleurs recevront une part égale (jusqu’à ce que les ressources s’épuisent et que leur société s’effondre).
Il n'y a pas de croissance infinie sur une planète finie, et toutes les idéologies industrielles, qu’elles se présentent comme « libertaires » ou « autoritaires », semblent ignorer ce fait élémentaire, car il révélerait l’absence totale de viabilité à long terme de leurs doctrines (dans un monde déjà confronté à un effondrement global sans précédent). (…)
J'emmerde votre communisme de luxe spatial
Un seule navire de croisière émet autant de pollution qu’un million de voitures. Ces bateaux déversent chaque année plus d'1 milliard de litres d'eaux usées dans l'océan. Sachant cela, quel anarchiste pourrait décider de financer l'industrie des croisières en économisant pour ses prochaines vacances ?
Les rouges, eux, vous diront sans sourciller que le capitalisme est le responsable de la pollution effrénée de l’industrie des croisières, et qu’« après la révolution » cette industrie ne ferait plus aucun mal parce qu’elle serait gérée par les travailleurs.

En réalité, une société véritablement communiste impliquerait que les croisières soient gratuites pour chaque travailleur, comme récompense de leur labeur. Ce qui signifierait bien plus de touristes parcourant le globe et bien plus de navires de croisière sillonnant les océans. Combustion de carbone et pollution augmenteraient en fait considérablement. (…)
« On ira en croisière et on contribuera à l’écocide, mais c'est bon on consommera de manière éthique après la glorieuse révolution » : difficile d’adopter une position plus absurde. Mais c'est le triste état de fait lorsque, dans les cercles rouges, cette rhétorique creuse passe pour de la pensée révolutionnaire.

Capitalisme et communisme sont taillés dans la même exploitation industrielle
Les collectivistes ne voient aucun problème avec les infrastructures oppressives, comme l'industrie de la viande. Beaucoup d'anarchistes rouges idolâtrent Murray Bookchin, rêvent de s’emparer des moyens de production afin de toucher une plus grande part du butin (voilà pourquoi ils craignent tant les anarchistes verts qui veulent mettre le feu aux usines).
Les rouges veulent remplacer le capitalisme industriel par le communisme industriel. Ils veulent retirer les patrons de l’équation, mais conserver tout le reste presque identiquement : ouvriers, usines, élevages industriels, mondialisation, écocide... et même, dans de nombreux cas, les prisons et la police. Ils veulent tout ce que la société industrielle a imposé au monde, à ceci près que, jurent-ils, ce sera cette fois « plus égalitaire », avec de la « démocratie directe » et une part égale du gâteau industriel.
Ces futurs industrialistes rouges insistent pour que nous abandonnions nos luttes afin de les rejoindre dans l’attente d’un industrialisme égalitaire, qui nous offrirait une part plus égale des profits tirés de la guerre contre le monde sauvage.
Contrairement aux prédications enragées de Bookchin, nous qualifiant de « contre-révolutionnaires », les anarchistes verts, comme les défenseurs de l’eau au Canada en ce moment même, mettent activement leur vie en jeu pour lutter contre la marche de l’industrie, bien loin des rabat-joie yuppies et leur hostilité de clavier.
Bien sûr, les bookchinistes viennent parfois en manifestation, et même aux premiers rangs. Mais en quoi cela justifierait leur complexe de supériorité ? Il est évident que le communisme ne sauvera pas le monde. Ils s'imaginent pourtant gouverneurs de la droiture morale. Mais manifester n'est qu'un autre rouage de la machine démocratique. L'illusion du choix. La manifestation n’accomplit rien, et ne vous rend certainement pas plus révolutionnaire que les autres. Tout ce que font les manifestants, c'est demander à leurs dirigeants d’être de plus gentils dirigeants. Mais ils n’abandonneront pas leur pouvoir parce que vous avez fabriqué une pancarte (ou tourné une vidéo sur internet).
Les manifestations, les syndicats, tout comme les « choix de mode de vie », ont depuis longtemps été récupérés par le système, qui étreinte toujours la planète. Le système est devenu très habile pour engloutir toutes les tentatives de révolution, les transformer en révolutions bizarres qui peuvent être blanchies et monétisées pour alimenter davantage sa croissance. Je n’ai pas besoin de rappeler aux anarchistes que le communisme a été instantanément reconverti en capitalisme industriel à chaque fois qu’il a été tenté. Le « Parti communiste chinois » est aujourd’hui, par habitant, l’un des plus puissants soutiens du capitalisme dans le monde. (…)

Reconnaître le redwashing idéologique
Les collectivistes s’immiscent souvent dans les discussions, pour exiger que nous réalisions leur société ouvrière mondiale, qu’ils promettent imminente si nous nous contentons de nous tenir la main et défiler dans les rues jusqu’à ce que tout le monde comprenne que nous avions raison. Alors, les masses nous rejoindront — il suffit d’attendre !
(…) Il est particulièrement déroutant de voir les rouges mépriser les anti-tech alors qu’aucun de ces « révolutionnaires communistes » n’a montré la moindre volonté réelle de s’attaquer au désastre industriel infligé à la planète, au-delà de promesses grotesques de « colonisation spatiale », de « réplicateurs Star Trek » et d’« exploitation minière des astéroïdes ».
Même les rares rouges qui daignent prêter attention à l’écologie continuent de glorifier le progrès et l’industrie comme forces de libération. Les soi-disant « écologistes sociaux » bookchinistes promettent que la planète sera sauvée par « plus de démocratie ! ». Nous pourrons alors tous participer au (bénéficier du) système industriel par notre pouvoir de vote, et choisir d’utiliser des « technologies écologiques » comme l’énergie solaire et éolienne pour alimenter les machines.
Peu importent les paysans de subsistance chinois, sur les terres desquels des déchets industriels cancérigènes sont déversés chaque jour par ces usines de panneaux solaires ; ils ne pensent simplement pas assez écologiquement. Et les Ghanéens qui grimacent lorsque des montagnes de panneaux solaires usagés sont empilées dans leurs arrière-cours (avec le reste des technologies obsolètes de l’Occident) entravent manifestement le progrès écologique et nous divisent par leurs pinaillages ! On dirait presque qu’ils ne veulent pas que les Européens aient deux véhicules électriques dans chaque garage ? Ridicule !
Lorsque vous donnez à un groupe un pouvoir légitimé, il l’utilise toujours pour opprimer. Tout pouvoir corrompt. Le collectivisme engendre la hiérarchie parce que les intérêts du groupe dominant — par exemple les ouvriers d’usine — ne sont pas les mêmes que ceux des groupes minoritaires, comme les artisans ou les éleveurs autochtones.
(…) La prise de conscience radicale ne vient pas qu'avec la démocratie. Des ouvriers votent déjà aujourd'hui. Pour quels résultats ?
Comprendre la coercition du « bien commun »
Les rouges attendent de toi que tu places les besoins du tout-puissant collectif au-dessus des tiens. Mais le bien commun a peu de valeur lorsqu'il ignore tes besoins individuels.
Le collectivisme est un concept assez grotesque quand on y réfléchit vraiment. On ne peut pas regrouper sept milliards de personnes, ayant des visions radicalement différentes de ce que devrait être la vie, en une entité unifiée — parce qu’elles ne forment pas une entité unifiée. Pourquoi tous les humains devraient-ils être vus comme des « ouvriers » ? Pourquoi chacun de nous devrait-il être mesuré à l’aune de sa capacité à produire des marchandises industrielles ?
Les personnes issues de lieux différents ont des besoins différents. Le marxisme résout cela en séparant les gens en classes et en nous disant de ne penser qu'à la classe industrielle urbaine, et tant pis pour les chasseurs-cueilleurs, les pasteurs et les paysans.
Paysans et petits propriétaires terriens qui incluent les peuples autochtones, vivant de leurs terres ancestrales et n'exploitant personne, mais encore et encore, les socialistes les ont ciblés et génocidés (parce qu’ils ne rentraient pas dans leur cadre idéologique). Puis les socialistes impérialistes s’emparent de leurs terres et les marchandisent pour en tirer profit. Pour exemples : la famine-génocide kazakhe perpétrée par l’URSS car les nomades kazakhs résistèrent à la rigidité de la collectivisation forcée ; l’invasion anglo-soviétique de l’Iran et la famine qui s’ensuivit, orchestrée afin que les rouges Russes puissent prendre le contrôle des champs pétrolifères iraniens ; ou encore les saisies de terres en cours en Chine et l’internement forcé et la « rééducation » de plus d’un million de Ouïghours.
Les individus qui évitent le consumérisme et vivent délibérément, en marge du système, n’exploitent personne, mais tout au long de l’histoire les collectivistes ont causé d'innombrables massacres en tentant de remodeler les terres autochtones à leur image coloniale. Le collectivisme est bien plus dangereux que l'anarchisme pour quiconque ne s'intègre pas au dogme et à l'idéologie collectivistes.
La collectivisation forcée nous a donné le génocide kazakh de Filipp Golochtchiokine, le génocide du Grand Bond en avant en Chine, l’Holodomor soviétique, etc. Et elle nous a finalement donné le capitalisme collectiviste que l’on observe aujourd’hui en Chine — la forme de capitalisme la plus efficacement écocidaire qui soit.
Le communisme et les autres idéologies rouges (y compris celles qui se réclament de l’anarchisme) créent une division entre groupes inclus et groupes exclus au moins aussi grande que dans le capitalisme. Le pouvoir ne fait que passer des mains des propriétaires à celles des producteurs. En outre, au plan historique, le traitement réservé aux groupes exclus reste tout aussi brutal. Celui qui (à l’image des éleveurs kazakhs) se refuse à intégrer le système industriel est tout bonnement foutu. Désobéir, c'est mourir.
Les idéologies rouges regardent le monde entier à travers la lorgnette occidentale du travailleur-esclave industriel. Or, le monde n’est pas unanimement régenté comme l’ouest industriel ; il n'est pas juste d’appliquer de force les systèmes moraux et économiques de l’Occident à tous les autres peuples.
Les paysans indigènes dans les zones postcoloniales sont traités en parias, en « koulaks », et massacrés pour avoir osé « posséder » les terres de leurs ancêtres – d’où ils tirent leur subsistance (en termes capitalistes).
Un jardin que vous entretenez avec votre famille/votre tribu et duquel dépend votre survie est une propriété personnelle, mais le communisme l’a toujours regardé comme une propriété privée. Comme si cultiver sa terre était réactionnaire, une menace au gouvernement « révolutionnaire ». L’URSS en vint même à interdire aux gens de cultiver des jardins chez eux, afin de les forcer à dépendre du collectif pour s’alimenter. De les tenir menottés aux chaînes de montage des usines.
Les éleveurs nomades et les chasseurs-cueilleurs nomades sont eux aussi criminalisés et affamés. Sous le communisme, on ne peut tolérer ceux qui refusent la soumission au travail industriel. Rassemblés dans la case des « individualistes », ils sont punis d’avoir résisté à la collectivisation.
Contre le collectivisme, embrasser l'anarchie
Le collectivisme, qu’il soit idéologiquement capitaliste, fasciste ou communiste, ne sert pas mes intérêts d'agriculteur et cueilleur indigène dans ces montagnes retirées. Toute industrie tue toute vie.
Je suis anarchiste. La simple idée d’une « société » qui gouvernerait ma vie me provoque la nausée. Vos besoins ne sont pas les miens, et je refuse d’aller où la collectivité désire m’emmener. Rien ne justifie de nous fondre au sein d’une même et unique entité parce que nous sommes tous contraints de travailler avec des machines.
L'ouvriérisme ne fait que nous ancrer plus profondément dans le système, accentuer notre dépendance à celui-ci. Et si une révolution devait, par miracle, avoir lieu... elle ne ferait que reproduire une nouvelle fois le système capitaliste parce qu'il est le seul que nous connaissons. Des exemples concrets d’anarchie tels que les forêts comestibles autosuffisantes sont bien plus révolutionnaires à mes yeux que n’importe quel syndicat ou manifestation. La seule révolution qui m’intéresse est celle qui en finira avec la dépendance à des structures artificielles. Je souhaite être libéré du système, pas devenir le système. Ni Dieu ni collectif.
(…) Il semble improbable que nous parvenions à arrêter l’extinction de masse globale que l’industrie a provoquée sur la planète, mais les anarchistes n’ont jamais pris l’impossible pour une fatalité. Nous combattons parce que nous existons, et nous existons pour combattre. Peu importe les chances de succès.
Nous pouvons soit choisir d’agir pour résister à ce système violent en partant d’une base locale, soit vivre et mourir en attendant que le capitalisme disparaisse comme par magie à l’échelle mondiale (tout en contribuant à sa croissance ainsi qu’à accroître sa violence).
Toute action de résistance à l’écocide en vaut la peine. Ne laissez personne vous dire le contraire.



.avif)
