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Stratégie révolutionnaire

Notes préparatoires à une conférence au Mallouestan (1/2)

Par
ATR
22
August
2025
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Affiche de l'université d'été du Mallouestan

Nous publions ici le brouillon remanié d'une conférence donnée à l'été 2024, aux universités d'été anarchistes et antispécistes du Mallouestan. Comme souvent dans ce genre de moment, l'oralité et les interventions curieuses du public ont créé une toute autre discussion que celle planifiée par les questions. L'occasion de revenir en profondeur sur celles-ci (éco-fascisme, anarchisme, anti-spécisme, divergences stratégiques, etc). Cette première partie traite surtout de théorie.

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1 - Quelles doivent être nos attentes vis-à-vis des États et des technologies pour répondre aux défis sociétaux et écologiques actuels et futurs ?

a) Chez ATR, nous ne voyons jamais la technologie comme une solution. Elle est plutôt le problème. 

Prenez l’exemple de l’électricité abondante ; elle est aussi le risque permanent de guerre nucléaire. L'imagerie médicale (IRM, scanners), c’est aussi l’extractivisme colonial, des mines d'uranium au Niger, des forêts ravagées au Kazakhstan. Rien de très antispéciste.
Il y a de bons et de mauvais usages d’internet, mais tous dépendent et engendrent de l’extractivisme, de la surveillance et des data centers énergivores. Qu'elle soit de droite ou de gauche, capitaliste ou communiste, l'infrastructure numérique émet plus de 4% de CO2 par an. Rien de très antispéciste.
Et sa fabrication est si complexe qu’elle suppose une société planifiée et centralisée (un État).

Vous l’avez compris, la technologie n’est ni démocratique ni écologique.
Elle n’est pas neutre. Elle impose son usage. Elle impose ses effets. Elle a de lourdes implications sociales et environnementales, à sa production et à son utilisation.
Même chose pour un panneau solaire. 400 km2 de nos forêts menacées d'ici 2028, est-ce bien antispéciste ?
Même chose, enfin, pour l’intelligence artificielle (contre laquelle ATR est en campagne depuis plusieurs mois). La consommation totale de ChatGPT-5 pourrait atteindre la demande quotidienne en électricité de 1,5 million de foyers américains. Pas très antispéciste.

En bref, le système technologique n’est pas un menu à la carte. Vous prenez tout ou vous laissez tout.

b) Sur la question de l'État, soyons brefs. Je me sens proche de l'esprit libertaire.
L’État est pour nous synonyme de dépossession, de bureaucratisation, de répression ; l’État c’est le massacre de la Commune, de Sainte-Soline et des Gilets Jaunes, c’est un outil non-neutre et incontrôlable comme l’a prouvé l’expérience bolchévique ou maoïste.

Pour être clairs, nous n’attendons de l’État que sa disparition.
Car la seule chose qu’il faille vraiment attendre de l’État, c’est sa radicalisation, c’est ce retour de la planification, cette planification que l’on souhaite partout à gauche, même chez les soi-disant décroissants.

Là je dois rappeler que la « décroissance planifiée » par l’État, c’est l’autre nom des stérilisations forcées en Afrique. C’est l’autre nom, en Chine, de la vieille politique de l’enfant unique. C’est l’autre nom de l’eugénisme. C’est l’autre nom de l’éco-fascisme.

L’éco-fascisme, le vrai, définit dès les années 70 par Gorz [1] et Charbonneau [2], c’est un État fort, l'économie dirigée, la réindustrialisation, la centralisation, les restrictions, les privations, les réglementations, les rationnements, les amendes, les taxes, les pass carbone, la techno-surveillance, le techno-contrôle, etc, et pourquoi pas le crédit social (annoncé par la Quadrature du net).
L’éco-fascisme, c’est un régime politique dominé par une élite scientifique, mettant en place un éco-État capable de contrôler sa population au nom de sa survie.
L’éco-fascisme (réellement existant), c’est le projet porté sur tout l’échiquier, de Jean-Marc Jancovici à Jean-Luc Mélenchon, en passant par des néo-nazis notoires comme Pentti Linkola [3] (ou Savitri Devi).

Face à cette écologie punitive, la meilleure solution reste encore le démantèlement du système techno-industriel.

Le genre de visuels imbéciles qui s'échangent dans les boucles éco-fascistes

2 - Quelles doivent être nos attentes vis-à-vis des luttes modernes pour accomplir les idéaux discutés (en prenant en compte les conditions matérielles) ?

Nous attendons des luttes actuelles qu’elles deviennent efficaces.
En octobre 2023, les Soulèvements de la Terre ont fait annuler la construction de 15 méga-bassines. Mais en juin 2024, 21 méga-bassines ont été autorisées.

Il est temps de ne plus réfléchir en termes défensifs, mais en termes offensifs.
Plus en termes d’usure, mais en termes d’effet domino.
Nous devons cesser les gesticulations symboliques et blesser matériellement le système.

Quels sont les organes névralgiques du techno-système ? Voilà la question à se poser. Que faut-il cibler pour, enfin, créer ce que les stratèges appellent un « échec en cascade » ?

Il faut (légalement) cibler :
- L’industrie électrique. Le système est totalement dépendant de cet approvisionnement.
- L’industrie des communications. Le système est incapable de survivre sans téléphone, radio, télévision, mails, etc.
- L’industrie informatique. Nous savons tous que le système s’effondrerait rapidement sans ses ordinateurs.
- L’industrie biotechnologique. Le système en sera bientôt dépendant. D'ailleurs, ses laboratoires expérimentent sur des milliers d'animaux chaque année ; rien de très antispéciste.

Mais pour bloquer où ça fait mal, encore faut-il avoir déterminé un objectif concret...

3- Quels succès et quelles limites ont été observés dans les mouvements sociaux récents ?

Tout dépend. On peut se-réjouir du retour de la question paysanne.
Mais, si l’objectif est de préserver la vie sur Terre, je n’ai constaté aucun succès.

Passons aux limites :

  • Objectif inexistant = échec. Objectifs multiples = dispersion (voyez XR).
  • Manque de stratégie pour atteindre l'objectif (quand il y en a un). Pensez au mouvement contre la réforme des retraites.
  • Hostilité horizontale sur des questions d’identités militantes figées [4].
  • Confusions entre action légale et action illégale, qui nuit à la sécurité.
  • Confusions entre organisation et oppression, qui nuit à l’efficacité.
  • Refus de prioriser l’abolition du capitalisme industriel (voire même volonté d’en conserver certains aspects).

Mais la limite principale, c'est le choix idéaliste des cibles.

Empêcher quelques bassines d’être construites, c’est croire qu’on peut avoir l’ennemi à l’usure.
Marcher contre la loi retraite tous les 15 jours, c’est de la guerre d’usure. De la guerre d'attrition, de position.

Épuiser des milliers de militants pendant 9 ans pour arrêter UN projet d’aéroport, c’est de la guerre d’usure.
Incendier une station de ski comme l’ELF en 1998, c’est de la guerre d’usure.
Le système n’est pas atteint par cette attaque. C’est spectaculaire, ça soulage, mais ce n’est pas matériellement efficace.

Faire ficher des centaines de militants pour arrêter une usine Lafarge seulement 3 petits jours, c’est courageux, mais c’est de la guerre d’usure.
C’est une guerre défensive. Une guerre sans initiative. Une guerre sans choix des cibles. Une guerre perdue d’avance.

Quand comprendrons-nous qu'attaquer les abattoirs ne cible pas le système dans son ensemble ?
Quand apprendrons-nous à choisir nos cibles de manière stratégique ? (pas idéologique) Quand il sera trop tard ?

En ce moment les Russes attaquent l’électricité ukrainienne ; l’OTAN répond en ciblant des gazoducs ; et nous on attaque des stations de ski !

La matrice CARVER, développée par l'armée américaine,permet de sélectionner des cibles de manière stratégique

Je le redis, l’urgence doit nous faire passer à une stratégie offensive, notre stratégie d’échec en cascade.
Regardons les choses en face.

Mouvement climat : disparu. Mouvement sur les retraites : vaincu.
Autodissolution de Dernière Rénovation récemment, sans avoir atteint son objectif. Début août, c’était Dernière génération, en Autriche, qui jetait l’éponge.
Et Youth For Climate, ça en est où ?
Et XR qui devait stopper les émissions de CO2 en 2025, ça en est où ?
Quand arrêterons-nous avec la culture de la défaite, la culture de l’usure ? Avant le contrôle total des populations ? Avant les quotas carbone ? Avant les politiques eugénistes ?

Qui ici réfléchit en termes de flux, de nœuds logistiques, de chaînes d’approvisionnement, de goulots d’étranglement ?
Visiblement, seule ATR veut abattre l’infrastructure qui permet l’extinction des animaux sauvages.

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Footnote [1] — « Les limites nécessaires à la préservation de la vie seront calculées et planifiées centralement par des ingénieurs écologistes, et la production programmée d’un milieu de vie optimal sera confiée à des institutions centralisées et à des technologies lourdes.
C’est l’option technofasciste sur la voie de laquelle nous sommes déjà plus qu’à moitié engagés. » (André Gorz, marxiste)

Footnote [2] — « Pour contrôler un espace et des ressources qui s’épuisent, pour prévoir et gérer les réactions humaines qui empêcheraient de le faire, on est obligé de renforcer l’État. L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de droite que de gauche sous la pression de la nécessité. » (Charbonneau, Le Feu vert, 1980)

Footnote [3] — Pentti Linkola, philosophe finlandais, est l’un des théoriciens principaux de l’éco-fascisme. Parmi ses principales propositions se trouvent l’implémentation d’une dictature dirigée par des intellectuels des sciences écologiques, un contrôle des naissances allant jusqu’aux stérilisations forcée, l’arrêt total de l’immigration (voire son inversion), l’extinction forcée des animaux étrangers, l'euthanasie des « déficients »... sa société idéale consiste en une régression technologique pour les citoyens mais pas pour l'État, dont les dirigeants possèderont des armes hautement technologiques pour se protéger et protéger l'environnement. Un cauchemar vert, documenté ici https://regressisme.wordpress.com/2023/11/18/contre-leco-fascisme/

Footnote [4] — Il nous faut en effet « extirper le débat tactique et stratégique des fétichismes identitaires. » (Les Soulèvements de la Terre, Premières Secousses, 2024)

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